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Édition du 15 janvier 2019,
section ACTUALITÉS, écran 8
Les critères de « mort naturelle raisonnablement prévisible » et de « fin de vie » prévus dans les lois canadienne et québécoise sur l’aide médicale à mourir (AMM) sont essentiels afin de ne pas décourager encore plus de médecins de faire ce geste et de ne pas embourber un réseau déjà incapable de traiter adéquatement toutes les demandes. C’est ce qu’a soutenu le Dr Claude Rivard, hier, au procès civil intenté par deux patients québécois à qui on a refusé l’aide médicale à mourir parce qu'ils ne sont pas en fin de vie.
Le Dr Rivard, médecin de famille de la Rive-Sud de Montréal qui a travaillé en salle d’urgence pendant 10 ans et aux soins intensifs pendant 12 ans, consacre maintenant sa pratique aux soins palliatifs.
Dès décembre 2015, soit à peine quelques heures après l’entrée en vigueur de la loi québécoise sur l’aide médicale à mourir, le Dr Rivard a commencé à prodiguer l’AMM. Il compte à ce jour 123 patients qui ont reçu l’AMM.
« J’en ai un de prévu ce soir et un demain soir. »
— Le Dr Claude Rivard à la cour
Jusqu’à maintenant, le Dr Rivard compte 26 patients pour qui l’AMM n’a pas été faite. De ce nombre, six sont morts avant de l’avoir reçue et quatre ont été refusés, car leur maladie n’était « pas terminale », a dit le médecin de famille.
Le Dr Rivard témoignait hier pour le compte du Procureur général du Canada dans le cadre du procès intenté par Nicole Gladu et Jean Truchon. Tous deux lourdement handicapés, les deux demandeurs se sont vu refuser le droit à l’AMM parce que leur mort n’est pas prévisible. Selon leur avocat, Me Jean-Pierre Ménard, les critères de « mort raisonnablement prévisible » et de « fin de vie » prévus dans les lois fédérale et provinciale pour avoir accès à l’AMM sont contraires à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité.
Crainte de congestion
Devant la cour, le Dr Rivard a indiqué que déjà, avec les critères actuels des lois sur l’AMM, très peu de médecins sont à l’aise de prodiguer ce soin. « Beaucoup de médecins refusent de faire l’aide médicale à mourir. Le malaise est évident chez les médecins », affirme le Dr Rivard.
« Un des critères qui rend ce soin plus facile à donner, c’est que le patient soit en fin de vie. »
— Le Dr Claude Rivard
Tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une supposition, le Dr Rivard dit craindre que sans le critère de mort raisonnablement prévisible, plusieurs médecins ne plaident l’objection de conscience et refusent de prodiguer l’AMM.
Le médecin de famille craint aussi que si le critère de fin de vie est retiré, la demande pour obtenir de l’aide médicale à mourir n’explose. « On n’a déjà pas assez de bras pour donner le service de façon adéquate aux gens qui se qualifient selon les critères actuels », dit-il.
Représentant du Procureur général du Canada, Me David Lucas a expliqué que le témoignage du Dr Rivard visait à « présenter la perspective d’un médecin, de ce qu’il voit sur le terrain, où il y a déjà une pénurie de médecins ». Le procès qui se déroule devant la juge Christine Baudouin, de la Cour supérieure, se poursuit aujourd’hui à Montréal.
Les souffrances des malades atteints d’alzheimer et le « meurtre par compassion » étaient au cœur des discussions, hier, lors de la sélection du jury pour le procès de Michel Cadotte, accusé d’avoir tué sa femme atteinte de cette maladie en février 2017.
Plusieurs candidats jurés ont fait valoir qu’ils ne pouvaient siéger au jury de façon impartiale parce qu’ils avaient vu des membres de leur famille dépérir à cause de l’alzheimer. Certains ont même affirmé qu’ils comprenaient le geste que l’accusé aurait commis, et qu’ils ne pourraient le condamner.
« Je trouve outrageux que M. Cadotte soit accusé », a dit l’un des candidats jurés, qui demandait une exemption, dans une salle du palais de justice de Montréal. « Ma grand-mère a souffert d’alzheimer, ma mère commence aussi à être affectée. C’est possible que j’aie à faire la même chose que lui éventuellement. »
La juge Hélène Di Salvo, qui préside le procès, a questionné chaque candidat juré afin de savoir s’il avait des opinions ou des idées préconçues sur la maladie d’Alzheimer, l’aide médicale à mourir et le « meurtre par compassion », des sujets qui seront discutés pendant le procès et que les médias ont soulevés dans leurs reportages sur cette affaire.
Le but était de trouver des personnes qui sauraient mettre leurs opinions de côté pour rendre une décision basée sur les faits qui seront présentés pendant le procès, a expliqué la magistrate.
Une candidate jurée a dit qu’elle comprenait le geste qu’aurait commis Michel Cadotte à l’endroit de sa conjointe.
« Il l’a fait par compassion, pour qu’elle ne souffre plus. J’ai vu ma grand-mère souffrir de l’alzheimer, je l’ai vue partir, et c’est horrible vers la fin. »
— Une candidate jurée
Dès le début du processus, des candidats ont demandé à la juge Di Salvo d’être exemptés de participer au procès pour de telles raisons.
« Ma mère avait l’alzheimer », a fait valoir une autre candidate. « Ils l’ont piquée jusqu’à ce qu’elle meure, parce qu’elle n’avait plus de qualité de vie, et je n’ai pas eu le choix de dire oui. Je n’ai pas le goût de condamner quelqu’un d’autre pour cette raison-là. »
Cette dame a été exemptée de siéger au jury, tout comme un autre candidat, qui a expliqué à la juge Di Salvo que sa mère, malade, s’était suicidée après lui avoir demandé de l’aider à commettre ce geste.
« Mon grand-père souffre d’alzheimer depuis plusieurs années et je me demande pourquoi on le garde en vie », a affirmé un candidat.
Un homme âgé a souligné que n’importe qui a le droit de se donner la mort, si c’est son désir. « Mais si je devenais inapte, je ne pourrais plus exercer mon droit », a-t-il fait remarquer.
Les personnes appelées à siéger comme jurés peuvent demander, dès la première étape du processus, d’être exemptées en raison d’empêchements importants, comme un voyage déjà planifié, des obligations familiales, des problèmes de santé ou un impact majeur sur leur revenu ou leur travail.
Ceux qui ne peuvent invoquer de telles raisons sont ensuite convoqués et questionnés afin que l’on puisse s’assurer de leur impartialité.
En fin de journée, 12 membres du jury (huit hommes et quatre femmes), en plus de deux substituts, avaient été choisis pour examiner les accusations à l’encontre de Michel Cadotte pendant le procès qui s’ouvre ce matin et qui devrait durer six semaines.
Michel Cadotte, 57 ans, a plaidé non coupable aux accusations de meurtre non prémédité de sa femme, Jocelyne Lizotte, qui avait 60 ans lors de sa mort dans un CHSLD du secteur Centre-Sud.